J’ai le bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles. Enroulée dans mon écharpe, j’enfile les mitaines. C’est qu’on se les caille ici. Heureusement ma couche de technique est efficace. C’est ce vent qui cherche à pénétrer. Mais c’est peine perdue chez moi. Je suis plus que parée.

J’empoigne le sac à dos qui pèse une tonne. Faut dire que je n’ai pas lésiné sur le matos : téléobjectif, grand angle, trépied, accessoires et le réflexe bien sur. J’espère ne pas le payer ensuite car ces dernières années c’est plus dur pour moi de transporter tout cela. Faut dire que je ne suis pas bien active. C’est pas de ma faute c’est mon cerveau qui veut pas. Il veut qu’on lui lâche la grappe avec le sport, la nutrition… Il veut en profiter tant qu’il le peut. Plus le temps passe et moins il accepte les contraintes. Alors moi, petite fille modèle que je suis, je l’écoute même quand il me trompe. Faudra un jour qu’on ai une conversation sérieuse lui et moi.

J’emboîte le pas de JC. JC c’est mon amis photographe, celui sans qui je ne serais pas là. Car c’est lui et sa femme Anne qui ont organisé ce séjour en Contentin. Séjour que j’attendais depuis un moment. Mon moteur ces derniers temps. Celui auquel tu te raccroche les jours sans.

J’emboîte donc le pas de JC parmi les bunker. Ces grosses verrues en bordure de plage, toutes plus taguées les unes que les autres. Je me remémore ces images de films et de documentaires où les soldats tombent sur ces plages. Décidément ces verrues sont laides pour ce qu’elles sont et pour ce qu’elles représentent. J’ai une pensée émue pour tout ces soldats courageux qui ont pris les armes pour défendre un pays qui n’était pas le leur. Alors même si elles font tâches dans le paysage, c’est bien qu’elles soient là pour nous rappeler tout ces morts et leurs sacrifices, pour nous rappeler la guerre dans ce qu’elle a de plus laid.

J’emboite donc le pas de JC qui vient de repérer des Tournepierres à collier. Je monte mon matériel et je le suis comme son ombre. Le travail d’approche commence. Je marche dans ses pas. Je vais jusqu’à le mimer. Il s’arrête, je m’arrête. Il se cache derrière son objectif pour casser sa forme humaine, je fais de même. Il me fait avancer de 10cm en 10cm, au rythme des oiseaux qui font la sieste. Je n’ose plus bouger, plus respirer tellement je suis prêt, il me fait signe de continuer, doucement. Je n’aurais jamais pensé, avant cette initiation, pouvoir m’approcher autant. Je fais partie du groupe. Quel privilège d’être parmi eux et de pouvoir les observer d’aussi prêt. Je partage l’intimité de ces Tournepierres. Ils sont superbes. C’est que ça grouille de vie entre ces parcs à huîtres. Alors j’observe leurs allés et venus à la recherche de nourriture. Ils se cours après, se volent parfois. Certains ont l’air malins. Que c’est drôle, que c’est beau. Et cette lumière ce matin…
Je suis happé par cette vie et cette beauté qui m’entoure. J’en perd la notion du temps. Je n’ai plus faim, je n’ai plus mal, je n’ai plus de corps. Je vie l’instant présent à travers mes yeux et mon coeur. Je n’arrête pas de déclencher l’appareil tellement c’est beau. Je voudrais emprisonner touts ces moments insaisissables. Mais on n’emprisonne pas les oiseaux ne serait-ce que dans un appareil photo. On est juste le témoin privilégié de moments fugaces et merveilleux. Je ne me rends même pas compte que j’ai les pieds dans l’eau. C’est que la mer monte depuis un moment. Heureusement que mon ami JC veille. Il me l’avait dit pourtant de faire attention à ne pas me laisser piéger par l’intensité du moment. Je pourrais me noyer là pour l’éternité parce que ce spectacle se suffit à lui-même. Ce moment suspendu me transporte loin de tout ou plutôt juste dans l’instant. Alors je recul au sec tout en continuant d’observer.
Je souris, ma gorge se noue, l’émotion m’envahi alors je l’accueil. Et à l’abris du regard de JC, derrière mes lunettes je ne peux retenir mes larmes.
Quel spectacle.
Je suis alignée. Je sais que je suis là où je dois être…

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