Bouloc Skydive, école de parachutisme de Midi-Pyrénées, le 10/08/2019 après-midi, environ 24°C ciel légèrement nuageux, Idéal pour faire son premier saut en tandem.
Si vous voulez être du voyage avec moi c’est par ici que ça se passe. Désolé pour la longueur mais ce texte je l’ai un peu écrit pour moi aussi…
Voilà, on y est! J’enfile une jambe, puis l’autre. Je laisse Jerôme, mon moniteur tandem, m’harnacher. Je l’écoute attentivement, tout comme j’avais écouté les consignes de la petite formation quelques minutes plus tôt. J’ai totalement confiance même si je ne sais pas à quoi m’attendre. J’espère juste que mes sens vont rester en éveil pour ne pas en perdre une miette.
Tellement longtemps que j’attends ce moment. Tellement longtemps que j’attendais d’en être capable. Tout s’est précipité ces derniers jours…Trois jours entre le moment où je me suis décidé et maintenant.Trois jours durant lesquels je n’ai pensé qu’à ça. Trois jours d’euphorie, à danser et chanter que j’allais sauter dans le vie’de… Heureusement d’ailleurs que cela a été rapide car je ne sais pas si j’aurais pu tenir une journée de plus tellement ce saut m’obsédait. Faut dire que j’y ai mis tellement de sens.
« Bon voilà, je vais enfiler ma combinaison et je te rejoins » me dit Jérôme. C’est clair que je vais pas partir sans lui. Je vais m’accrocher à lui comme à une bouée de sauvetage. En tout cas j’admire son calme quand dans ma tête ça tourbillonne….
Faudrait pas que je perde une pompe au moment du saut…
Est-ce que je vais arriver à respirer? Faut-il que je garde la bouche fermée? Mes cicatrices vont elles me permettre d’ouvrir les bras quand j’y serais autorisé ? Vais je bien avoir le réflexe de cambrer le dos et de pousser sur le bassin comme m’a dit Jerôme? Quelle sensation vais-je ressentir au bord du vide quelques secondes avant le saut? A merde j’ai oublié de prendre quelques bouffées de ventoline on sait jamais….
Tia m’accompagne jusqu’à l’avion. Un sacré petit bout de femme d’à peine 18 ans. Je suis impressionnée par sa maturité. Elle rentre en prépa hypokhâgne dans quelques semaines et veut devenir magistrate. Elle saute depuis l’âge de 10 ans. En tandem d’abord puis en solo. Alors même que personne de son entourage n’était parachutiste. Elle adore le théâtre et fait des petits boulots pour financer sa passion du parachutisme, comme par exemple écrire des critiques théâtrales pour le journal « La Provence » durant le festival d’Avignon. Cette asso, Maladie en chute libre c’est elle qui en a eu l’idée et qui l’a créée à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui ils sont une douzaine autour d’elle. L’association fonctionne par des dons privés et des subventions d’entreprises. Elle a permis à une dizaine de personnes touchées par le cancer de sauter en tandem et d’oublier, le temps d’un saut, leur maladie. Voir de la laisser derrière elle et de sauter dans leur nouvelle vie. Et elle ne compte pas s’arrêter là… Qu’elle est belle notre jeunesse quand, à l’aube de sa vie, elle est capable d’un geste aussi altruiste, d’autant plus lorsqu’on sait qu’elle na pas été touchée directement par le cancer. Il doivent être bien fiers ses parents!
On se rapproche de l’avion, un « De Havilland Twin Otter DHC-6 200 » qui va atteindre l’altitude de 4000m en 20 minutes. Tia se revêt alors de son plus joli sourire, dont elle seule a le secret, et me souhaite un bon saut. Je lis dans ses yeux que je vais aimer ce moment. Il me semble que nous sommes 19 à y prendre place. Dont au moins 3 tandems. Jerôme ne veut visiblement pas être le dernier à sauter, il accélère. Le moteur dégage de la chaleur et fait un boucan d’enfer. On s’assied à la queue leu leu, sur des banquettes de part et d’autre d’une allée centrale. Je comprend alors que notre trio (Jerôme le moniteur tandem, Kevin notre vidéoman et moi), monté en deuxième, à l’opposé de la porte, sera l’avant dernier à sauter. Le confort est somme toute spartiate comparé aux avions d’Air France… C’est alors que je réalise que contrairement à mes précédents vols en avion, je ne vais faire qu’un aller avec celui-ci. Un allé simple vers l’inconnu. Tout à l’air bien rôdé., l’ambiance est bonne enfant, les moniteurs plaisantent… Jerôme, à ma gauche, m’explique qu’à 1500m quelques parachutistes vont sauter. Puis qu’à 4000m il y aura 2 vagues successives d’envols.
1500 mètres
Quelqu’un ouvre le volet de la porte située sur le côté de l’appareil. L’air s’engouffre, tel que m’avait prévenu Jerôme. Il commence à faire froid pour un mois d’Aout et je regrette déjà de ne pas avoir pris de pull. Les premiers commencent à sauter, je peux les voir à travers les hublots. Un frisson me parcourt le corps. Dire que d’ici quelques minutes je serais à leur place…
La tension est palpable chez les sauteurs d’un jour. Je pourrais les reconnaitre rien qu’à leurs visages. Les sourires ne mentent pas, plus ont prend de l’altitude et plus ils se crispent. Je ne dois pas faire exception. Car même si j’en a envie, même si j’en ai rêvé et que je ne pense pas avoir peur, j’ai tout de même de l’appréhension. Alors je fixe le bracelet de perles que je me suis fais hier soir, quand le sommeil ne venait pas, trop excité par la journée qui m’attendait. Personne ne le sait, mais les perles représentent le mot RESPIRE en morse. J’ai emprunté cette jolie idée à la créatrice « Les Mots doux » car je n’avais plus le temps de le lui commander après celui du mot MAGIE acheté quelques mois plus tôt. Je voulais sauter avec mon bracelet et pouvoir me rappeler de me concentrer sur ma respiration si la panique me prenait. Et puis je voulais aussi, plus tard, juste en regardant ce bracelet, pouvoir me remémorer ce saut et tout ce qu’il représentait pour moi. Une sorte de porte bonheur de ma nouvelle vie. Celle où je me promets de ralentir, de prendre le temps de respirer, de méditer, de savourer. Celle où j’ose tout, même les rêves les plus fous. Celle où je laisse la maladie et mes épreuves de vie derrière moi. Celle où je me promets de ne pas m’oublier. Celle où je finis de déployer mes ailes… Une renaissance en quelque sorte. Alors, tout en fixant mon bracelet, je prends une profonde inspiration et je me concentre sur ma respiration pour chasser cette appréhension qui pointe avant qu’elle ne me gâche tout.
2500 mètres
Jerôme me demande de prendre place sur ses genoux afin qu’il termine de m’harnacher. La pression monte d’un cran, ça se précise… Je me dis que j’espère que je ne l’écrase pas car entre mon poids et celui du parachute il doit être costaud. Heureusement que le travail avec la diététicienne et le coach sportif m’ont permis de m’alléger un peu… Kevin film un peu. Jerôme ressert mes sangles, il tire dessus. Et moi je me dis dans ma tête, « oui va-y vérifie bien tout maintenant, après il sera trop tard! » Je sens mon sourire se crisper un peu plus. Vite je regarde mon bracelet. Jerôme m’explique maintenant comment on va procéder pour le saut. Je suis toute ouïe. Et puis on check les uns avec les autres. Super ambiance.
4000 mètres
Ça y est, les premiers ouvrent la porte. Ils sautent. Je les regarde se lancer, et par le hublot, tomber dans le vide. Je sers les dents, bientôt mon tour. Je me répète que ça va bien se passer, que tout est ok, que je vais prendre mon pied.Kevin me regarde et me fait un joli sourire, ç’est super rassurant. Ça y est! On avance comme on peut pour rejoindre la porte. Mes semblants de pas sont mécaniques. Ma voix intérieur me dit: « Les mains sur le Harnais, les mains sur le Harnais! », « Pense au bassin, pense au bassin » A à un moment c’est plus ma raison qui me porte, c’est autre chose, je crois que c’est Jerôme en fait. Je m’en remet totalement à lui. Je ne lutte pas, Je m’abandonne… Kevin se tient à la barre au dessus et se place à l’extérieur de l’appareil sans sauter, le fou. Jerôme me dit d’avancer encore un peu. J’ai la pointe des pieds dans le vide. Et puis je sent qu’on tombe, je garde bien les yeux ouverts mais mes sens sont sans dessus dessous. Je ressens plus que je ne vois. Je sens qu’on ralentit légèrement, Jerôme vient d’ouvrir le ralentisseur. C’est qu’elle pèse son poids la mémère. J’ai une sorte de black-out visuel alors que je suis sur d’avoir les yeux ouverts. Je sens le froid et l’air. J’ai pas eu vraiment le temps de penser à pousser mes hanches mais je suis dans la bonne position. A plat ventre, les mains sur le harnais et les jambes qui remontent par l’arrière. Et puis je retrouve enfin ma vision. Je vois les nuages. Je ressens la vitesse, 200 km/h. Ouahou c’est fou cette sensation!!!! Indescriptible, inimaginable de ressentir ce que je ressens. Je crois que je cris de joie. Je sens qu’on tourne sur nous même! Jerôme m’avait dit de ne pas regarder en bas mais plutôt devant moi, sauf que je ne peux pas m’en empêcher… Alors voilà l’effet que ça fait de tomber dans le vide! J’adore, je prend mon pied! Ouaouh. Jerôme me tape sur les épaules, le signe que je peux relâcher mes bras. Putain je vole! Ouaouh. Je vois Kevin! Il a un tel sourire!!! Ça se voit qu’il kiffe, lui aussi, le moment. Il semble m’inviter à faire de même. Il est super proche. Il me fait signe, je lui montre mes pouces en l’air. Je suis trop heureuse, je kiffe, putain je kiffe! Une minute de pure adrénaline J’ai un si grand sourire que j’ai la bouche ouverte. Je sens l’air qui rentre et qui dessèche tout sur son passage.
Et puis une fraction de seconde j’ai l’impression que le temps s’arrête. Je regarde Kevin tomber comme une flèche tandis que je sens une énorme tension sur les épaules. Je comprends alors que Jerôme vient de déclencher le parachute.
On est donc à 1500m.
Il me demande si ça va. Tu m’étonne que ça va! Le contraste avec la chute libre est saisissant… On plane, tout en silence. Je regarde partout, dessous, à droite, à gauche… C’est magnifique. Il y a peu de nuage. Je mesure la chance d’être là. D’être en vie pour savourer cet instant. Les pieds dans le vide, suspendu à Jerôme. Il me demande si j’ai des lentilles, auquel cas je peux mettre mes lunettes autour du coup. Au départ je ne préfère pas, car j’ai les yeux qui pleurent au moindre coup de vent depuis la chimio. Et puis finalement je repense à tout mes sens en éveil, alors je les retire afin de ressentir l’air sur mes yeux. Etonnamment je ne pleure pas… Jerôme profite de la quiétude du moment pour m’expliquer l’atterrissage et la posture à adopter. Je fais un essais. Puis il me propose de piloter le parachute quelques secondes. Il me passe les commandes, à moi! Je vais à droite, je vais à gauche, je ralentis… Quelle sensation de liberté!!! C’est vraiment apaisant et cela contraste tellement avec l’adrénaline de la chute libre. C’est plus long aussi, plus doux. Le sol se rapproche. Je reconnais la piscine de l’école. J’admire le paysage tandis que Jerôme s’amuse à prendre des virages. Je sens l’atterrissage qui s’amorce et qui va mettre fin à ce sublime moment, cette incroyable aventure. Je voudrais que le temps s’arrête. Mais je me ressaisi, je dois savourer jusqu’au bout, je dois rester dans le moment présent! Ouf Il était moins une…
Atterrissage
Jerôme me demande alors de prendre la position d’atterrissage. Ça va vite, le sol est proche. Je monte les genoux, les mains sous mes cuisses. Je les tire le plus haut que je peux, pieds en avant. Je crois que je n’ai jamais aussi bien levé les genoux de ma vie, bizarrement je ne sens plus mes articulations qui me font souffrir d’habitude. On touche le sol, tout en douceur, je glisse sur mes fesse. Je sais qu’ils sont là autour de moi, qu’ils me filment et me prennent en photo mais je ne les vois pas. Tia, Sandrine & Cyndi mes Kopines de sauts, leurs maris, mon propre conjoint Eric… Jerôme, Kevin… Ils sont là mais moi je n’ai pas encore atterri en fait… Je suis tel un sac, échouée au bord de mes émotions. Jerôme m’aide à me relever. Ça fait bizarre de marcher de nouveau, alors c’est peut être ça de marcher après avoir déployé ses ailes……
Eric me parle et me demande mes impressions… Je suis incapable de lui répondre autre chose que Ouaouh, génial, j’ai adoré. J’ai besoin de silence et de me poser seule, d’atterrir dans ma tête et de faire le point sur les émotions qui me submergent telles un feu d’artifice. Je m’éloigne et je pleurs. Je relâche alors toute la pression que j’ai mis dans ce saut depuis 3 jours. Je savais qu’il n’y en aurait peut être pas d’autres alors je me devais de ne pas le rater celui-là. Tout vivre, tout ressentir, à 200%. Je vous avouerais que je ne me suis jamais sentie aussi vivante que durant ce saut. Et je pense déjà au prochain… Sans cette pression, sans l’appréhension de l’inconnu, avec des sensations qui ne me seront plus étrangères… Ce sera un autre saut, un autre moment fort, sans doute moins sous contrôle, plus en lâché prise…
Il m’aura fallu 8h00 d’atterrissage dans ma tête et l’écriture de ce texte pour mettre fin au black out partiel de la chute libre. Je pense qu’il est survenu à cause de l’implosion de tout mes sens. Ils étaient tellement en éveil que toutes ces sensations nouvelles étaient trop nombreuses et trop puissantes pour que mon cerveau puisse les digérer et les interpréter toutes en même temps. Alors il les a rangé dans un coin de ma tête pour pouvoir les rejouer calmement après coup. J’ai donc passé une partie de la nuit, à mesure que la mémoire me revenait, à coucher sur le papier, ou plutôt l’écran, ce que j’avais pu ressentir lors de ce premier saut en tandem. Et ce même si j’étais vidée, crevée par ce saut et toutes ces émotions. J’ai eu peur que la mémoire ne reparte alors j’ai voulu figer à jamais ce moment incroyable de pleine conscience. Ce moment offert par une jeune fille de 18ans et son association « Maladie en chute libre » Tia, je ne te remercierais jamais assez de l’expérience que tu m’as permis de vivre. Celle-ci restera gravée à jamais en moi, à l’image du tatouage que je m’apprête à faire en Mars. De plus ce saut aura été réalisé au mois d’Aout, un mois difficile pour moi à plus d’un titre pour qui connais toute mon histoire. Dorénavant un merveilleux souvenir viendra adoucir les mauvais. Alors MERCI à Tia , à toute ton équipe, à tout tes donateurs de Maladie en chute libre! MERCI à Jerôme, merci à Kevin, merci au pilote et à toute l’école de Bouloc Skydive où j’ai découvert une communauté et un cadre fort sympathique. MERCI à Sandrine & Cindy, mes Copines de saut qui ont sautés, elles aussi, quelque temps après moi. MERCI les filles pour ce moment fort où, en larmes après nos sauts, nous nous tombions dans les bras en nous disant qu’on avait laissé en haut notre cancer et notre vie d’avant. MERCI une dernière fois à Tia d’avoir rejoint ce cercle pour partager cela avec nous, te rendant compte de la puissance de ton geste. MERCI à nos conjoints également pour cet agréable pique nique et ce superbe après midi.
J’avais bien dit que 2019 serait l’année de tout les possibles, l’année où je ferais tomber une à une mes barrières. Et bien en voilà encore une qui tombe.
PUTAIN! JE L’AI FAIT!
Sandrine,
Qui vient de prendre une revanche sur la vie, qui ne s’est jamais sentie aussi vivante qu’aujourd’hui et qui va maintenant aller dormir 24h pour s’en remettre.
Balma, Dimanche 11/08/2019, 6h24