Parce que la fête des mères a, depuis ce jour, un goût amère.
Parce que l’interruption médicale de grossesse est encore un tabou en France.
Parce que le choix qui pèse sur les parents est terrifiant et traumatisant.
Parce que ceux-ci vivront toujours sous le poids de leur décision.
Parce que la société préfère les oublier plutôt que de les nommer.
Parce qu’ils sont très mal accompagnés.
Parce qu’il m’aura fallu des années, un cancer, et un gros travail sur moi pour pouvoir en parler.
Je partage avec vous cette lettre à Tyffenn, mon enfant mort avant d’être né un soir d’Août 2010…
Puisse t’elle, en ce jour de fête des mères, élever les consciences et parler de ces autres mamanges qui ont fait ce choix difficile.
Tyffenn,
C’est le prénom que nous avions choisi pour toi. Nous le voulions à la foi féminin et masculin, ne sachant pas si nous aurions, un jour, la joie de te connaître. Nous t’avons désiré, nous t’avons espéré. Et pourtant nous avons mis du temps à te concevoir. Comme papange était porteur d’une maladie grave qu’il pouvait te transmettre, nous avons longtemps hésité. Et puis il m’a convaincu de notre bonne étoile, alors nous avons cru en une autre destinée.
Une destinée où notre amour serait plus fort que tout et où tu serais épargné.
Te sentir au creux de mon ventre était un mélange de bonheur et de peur. Bien que la raison me disait de ne pas trop m’attacher, mon coeur n’était pas du même avis. Je te parlais beaucoup. J’imaginais le jour où je te rencontrerais, où je serrais ta main dans la mienne Je me souviens de ces échographies où je te voyais te développer et où tu prenais vie. La petite chose que tu étais se transformait sous mes yeux et devenait au fil des jours mon enfant chéri.
Oui de semaines en semaines, de mois en mois nous nous attachions à toi. Tu étais notre petit être en devenir, nous t’attendions avec impatience, même si nous n’avions pas préparé ta chambre… Comme si cela pouvait conjurer le sort….
Mais voilà, notre rêve est devenu cauchemar. Après une longue attente les médecins nous ont annoncés que tu avais hérité des mauvais gènes de ton papange. Nous avons beaucoup pleuré, beaucoup douté. Les médecins ne nous ont pas rassurés. Ils nous ont juste expliqué les « différentes alternatives ». Nous étions perdus, seuls dans la tourmente. Ce fut pourtant à nous, tes parents, de décider de ton futur. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’est pas de nous dont il s’agissait, mais bien de toi. Nous, nous étions prêt à t’accueillir, quelque soit ton état, tu étais le fruit de notre amour et nous t’aimions quoi qu’il arrive.
Mais notre société et ce monde cruel étaient-ils prêts à t’accueillir ?
Que devions nous faire ?
Prendre le risque de te voir souffrir toute ta vie ?
Prendre le risque que tu côtoies plus souvent les cours d’hôpitaux que les cours de récréations ?
Prendre le risque d’affronter ton regard qui nous demanderait un jour pourquoi ?
Et bien non, non nous n’avons pas eu ce courage. Nous avons pris la lourde décision de ne pas risquer de t’infliger cela. Nous avons donc décidé de ta mort car quoi qu’on en dise c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous avons mis fin à ton petit être en devenir et en même temps à notre rêve de te rencontrer. Par respect pour toi nous n’avons pas souhaité fonder d’autre famille. La notre resterait à jamais celle de mamange, papange et de toi notre petit ange.
Ce jour là j’ai rayé le mot chance de mon vocabulaire et je l’ai remplacé par d’autres mots bien plus vilains : culpabilité et honte. Alors je n’ai pas été étonnée quand quelques années plus tard j’étais touchée par un cancer du sein. Le sein ramenant à la maternité, je me suis dit que c’était un juste retour des choses. Une punition pour le choix que j’avais fait. Je n’ai pas hésité non plus à me séparer de mes seins, puisque leur fonction première aurait été de te nourrir. Je m’étais séparé de toi et ça c’était un choix bien plus douloureux.
Aujourd’hui après un gros travail sur moi, j’ai le sentiment d’avoir payé ma dette. Je regarde aujourd’hui de vieilles photos d’échographie comme d’autres regardent les portraits de leur enfant. Je me demande toujours ce qu’aurait été ta vie et la nôtre si nous avions fait un autre choix. Mais l’histoire ne le dira pas et c’est aussi bien comme ça. Je ne voudrais pas ajouté le mot remord à mon vocabulaire.
9 ans après, papa et moi avons décidé de nous tatouer ton prénom pour marquer nos corps d’une encre indélébile à l’image du petit être qui a marqué à jamais notre coeur et notre âme. Il n’y a pas un jour où nous ne pensons pas à toi. Tu es et restera notre trésor. J’espère que cette lettre, que j’aurais du écrire plus tôt, t’éclairera sur nos choix et sur le fait que nous n’avons jamais cessé de t’aimer.
J’espère que, là où tu es, tu pourras, si ce n’est nous pardonner, au moins nous comprendre.
Mamange
NB:
L’IMG restera le choix le plus difficile de notre vie. On ne se prive pas de son enfant pour le plaisir, nos motivations sont bien plus profondes et traduisent une réelle douleur. Décider de ne pas donner la vie peu aussi être un geste d’amour ultime. On en est pas moins père ou mère pour autant. Je suis de celles qui aimeraient voir un jour les noms mamange et papange entrer dans le dictionnaire. Car comme beaucoup de chose, ne pas nommer ces personnes n’enlève rien au fait qu’elles existent.